Avec « Saints Row », le retour du clone fantasque et déjanté de « GTA »


Sur l’écran de création, votre personnage prend forme. Il vous aura fallu plusieurs minutes pour choisir parmi des dizaines de coupes de cheveux, de textures de peau et de gabarits que vous avez ensuite retravaillés. Vous avez poli l’arête nasale, rehaussé l’inclinaison des sourcils, déterminé le diamètre des tétons et la grosseur de l’entrejambe. Puis vous avez encore passé vingt minutes à l’habiller. Cette séance de modélisation maniaque, entre chirurgie plastique et tuning automobile, est votre porte d’entrée vers Saints Row. Dans ce paradis de la customisation, votre avatar surgit, incontestablement unique. Il s’appelle « le Boss » et il n’y en a qu’un : c’est vous.

Jouez à la poupée en façonnant les habits de votre personnage ou en retouchant ses sous-vêtements.

Quelques minutes plus tard, on retrouve le Boss aux commandes d’une décapotable, accompagné de trois acolytes, les cheveux au vent. Le long des voies d’autoroute de Santo Ileso, l’autoradio crache le mantra d’un coach en développement personnel : « Devenez votre propre patron, soyez aux commandes ! » C’est précisément la vie qu’a choisie le Boss après avoir lancé son gang comme on lance une entreprise. S’emparer de la ville pour en faire l’empire du gang des Saints : voilà le projet.

Le double décomplexé de « GTA »

Depuis ses débuts en 2006, la série irrévérencieuse Saints Row a évolué dans l’ombre de Grand Theft Auto (GTA), passant du rang d’outsider à celui de cousin un peu taré. Apprécié par une frange considérable de joueurs, notamment aux Etats-Unis, Saints Row dispose toutefois d’un rayonnement bien plus limité que le mastodonte de Rockstar Games et ses 375 millions de ventes (tous épisodes confondus).

Habile, la série de Volition poursuit moins la simulation méticuleuse de son modèle que ses plaisirs cathartiques de bac à sable. Moins bavarde et hystérique que GTA, moins tentée par un discours politique qui achoppe souvent sur une forme d’ambiguïté cynique, la satire américaine de Saints Row tire parti d’une grossièreté décomplexée, associée à la légèreté d’un humour cartoon et explosif. Quand on vole une voiture dans GTA, on force la portière. Dans Saints Row, on passe à travers le pare-brise, les pieds en avant.

« Saints Row » reste fidèle à l’esthétique pop, bariolée de couleurs fluo et de néons roses, qui a fait sa réputation.

Si elle a toujours mis en scène différents gangs luttant pour prendre le contrôle de grandes villes américaines, la série s’est laissée glisser sur une pente de plus en plus délirante. En 2011, elle se réinvente avec Saints Row : The Third, cocktail de crétinisme assumé où le gang des Saints fait désormais fortune dans le merchandising et tabasse ses ennemis à coups de godemiché. A l’heure où le jeu vidéo atteint l’âge de raison, Volition se vautre dans les plaisirs coupables qui lui ont longtemps valu sa réputation de sous-culture peu fréquentable.

Lire notre critique de l’époque : Saints Row : the third, digne héritier de GTA

A l’automne 2013, comme pour répondre à GTA V qui s’enorgueillit de son scénario fleuve, Volition dégaine Saints Row IV, où les Saints se trouvent piégés dans une simulation virtuelle par des extraterrestres après que le Boss a été élu président des Etats-Unis. De l’avis même des développeurs de Volition, il était grand temps de revenir sur terre.

C’est donc sous la forme d’un reboot que nous revient aujourd’hui Saints Row. Cette fois, Volition retrace les origines du gang violet dans une mouture plus assagie qu’à l’accoutumée. Le jeu est centré sur un groupe d’amis aux profils humanisés mais suffisamment atypiques pour se lancer dans une grande aventure picaresque, avec ses vols en combinaison ailée sur fond d’explosions, ses doigts d’honneur et ses morts gratuites par centaines.

Moins déjantée que dans les précédents volets, la bande des Saints met en scène des personnages dans l’air du temps mais assez peu attachants.

Far West en carton-pâte

Ni plus vraiment cancre, ni sérieux pour autant, le nouveau Saints Row ne convainc pas toujours. Du bac à sable, le jeu conserve l’essentiel lorsqu’il nous demande de saccager un chantier ou de traîner un ennemi dans des W-C chimiques sur plusieurs kilomètres. Cependant, il semble occulter que nous avons déjà fait cela, voire que l’ensemble des jeux en monde ouvert l’ont déjà fait avant lui. Suivant une progression décousue, le joueur va de poursuite en fusillade, traversé par la désagréable impression que le genre ne sait se défaire de sempiternelles missions consistant à tirer sans joie sur des vagues d’ennemis.

Après des débuts laborieux, et sans jamais rien sacrifier à des mécaniques un brin lénifiantes, Saints Row finit tout de même par se déployer dans ce qu’il a de mieux à offrir. Le jeu bénéficie pour cela du cachet de Santo Ileso, ville fictive du sud-ouest des Etats-Unis dont le cadre aride saisit de façon remarquable l’artificialité de villes comme Las Vegas. Ici, les banlieues industrielles se changent progressivement en zones commerciales gravitant autour d’un centre-ville dont les tours accentuent la vacuité du désert. Ce n’est pas un hasard si la première mission du jeu se déroule dans un décor de Far West en carton-pâte : la ville-champignon de Santo Ileso n’est que l’évolution moderne des villes de western, genre auquel les meilleures séquences de Saints Row (une évasion de prison, une attaque de train…) empruntent tant de poncifs.

A Santo Ileso, trois gangs rivaux se livrent bataille : les mécaniciens de Los Panteros, les clubbeurs anticapitalistes des Idols, et la société paramilitaire Marshall.

Par ailleurs, en rejouant le mythe fondateur des Etats-Unis, le monde ouvert de Saints Row n’oublie pas que celui-ci fut avant tout une lutte pour l’hégémonie. Ainsi se trouve justifiée l’obsession du jeu de rendre tout personnalisable : avatar du Boss, armes, véhicules, monuments… « Tout est à vous, mettez-y votre empreinte », nous crie ce jeu où les protagonistes égocentriques font l’apologie de la production participative et du mythe du self-made-entrepreneur. Dans cette dystopie post-Uber, les quatre amis se lancent dans une réappropriation massive des quartiers, y installent leurs entreprises véreuses (avec autant de minijeux à l’intérêt variable) et repeignent la ville en violet. Les Saints sont bel et bien devenus leurs propres patrons, mais s’ils se sont affranchis, c’est pour mieux nous enfermer dans leur franchise à eux.

Lire aussi « GTA III », le sale gosse du jeu vidéo, a 20 ans

L’avis de Pixels en bref

On a aimé :

  • la ville de Santo Ileso, superbe terrain d’exploration ;
  • le personnage du Boss, avec son panache et son sens de la repartie sans faille ;
  • quelques séquences originales et drôles qui sortent du lot.

On n’a pas aimé :

  • une refonte un peu trop sage de Saints Row qui ne cherche jamais à renouveler les archaïsmes du jeu en monde ouvert ;
  • des fusillades, et encore des fusillades… ;
  • quelques bugs bloquants dans certaines missions ou phases de jeu.

C’est plutôt pour vous si :

  • vous attendez désespérément GTA 6 et si vous avez besoin d’un en-cas ;
  • vous êtes fou de customisation, vous mettez votre touche partout : sur les murs, les trottoirs, les voitures et les passants (bonus si le violet est votre couleur préférée) ;
  • vous passez vos week-ends au bord de l’autoroute à vous jeter sous les voitures pour récupérer des millions en assurance (ou vous avez toujours rêvé de le faire dans un jeu vidéo).

Ce n’est plutôt pas pour vous si :

  • le format du monde ouvert en missions et sous-missions agrémentées de montagnes d’activités annexes assez rébarbatives vous paraît caduc ;
  • vous ne supportez pas l’immoralité, la violence et la grossièreté gratuites.

La note de Pixels :

3 auréoles sur 5



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